Le docteur Aurélie Cabannes-Hamy est Praticien Hospitalier en Hématologie au Centre Hospitalier de Versailles, dans le service d’Hémato-Oncologie dirigé par le Professeur Philippe ROUSSELOT. Elle est à l’origine de la mise en place d’une activité physique adaptée (APA) auprès des patients de son service, mise en œuvre par la CAMI Sport et Cancer, avec la participation d’associations de patients dont Action Leucémies. Elle nous en explique le fonctionnement.
Quel est le profil des patients que vous recevez dans votre unité ?
Les patients hospitalisés en Soins Intensifs d’Hématologie sont essentiellement atteints de leucémie aigüe, pour lesquelles ils reçoivent des chimiothérapies intensives, entraînant des aplasies de plusieurs semaines. Nous prenons également en charge des patients atteints de lymphome ou myélome pour intensification thérapeutique avec autogreffe. Ils restent hospitalisés en moyenne 3-4 semaines dans le service. Actuellement, notre patient le plus jeune a 17 ans et le plus âgé plus de 80 ans.
Comment vous est venue cette idée du développement d’une activité physique auprès de ces patients ?
Depuis une dizaine d’années, la pratique d’une activité physique pendant un cancer s’est largement développée, et de nombreuses études ont montré une amélioration de la qualité de vie, une diminution de la fatigue physique et psychologique, et une limitation des effets indésirables. Depuis 2017, l’activité physique adaptée est même inscrite comme soin oncologique de support complémentaire dans une instruction de la DGOS/INCa. J’ai découvert la CAMI Sport et Cancer dans le service d’Hématologie Adolescents et Jeunes Adultes (AJA) de l’hôpital Saint-Louis, où j’ai exercé précédemment, et où cette activité avait été mise en place en 2012. Cela marchait très bien, les patients en étaient très demandeurs et en reconnaissaient les bénéfices multiples. Depuis mon arrivée à Versailles en 2018, j’avais le projet de développer une structure dédiée à la prise en charge des patients AJA, et la mise en place d’une activité physique adaptée apparaissait comme indispensable. Le Pr Caroline Besson, qui est référent pour les lymphomes dans le service, avait déjà échangé avec la CAMI et j’ai pris le relais en 2019. Le partenariat avec la CAMI Sport et Cancer est apparu ainsi comme une évidence. Le Covid nous a évidemment retardés, mais le temps de trouver les financements et de mettre la structure en place, le pôle Sport et Cancer a été ouvert dans notre service en avril 2021. Le développement de cette activité est aujourd’hui devenu un vrai projet au niveau de l’hôpital.
A quel rythme se font ces séances ?
Damien Laurent, notre praticien en thérapie sportive, intervient trois fois par semaine les lundi, jeudi et vendredi, soit 9 heures hebdomadaires. Il a pu prendre en charge à ce jour plus de 60 patients, soit près de 500 séances de thérapie sportive. Il intervient actuellement dans les chambres en individuel, mais nous avons le projet à terme de proposer des séances de groupe pour les patients ambulatoires, en hôpital de jour ou en consultation. Ce projet est en cours de discussion avec la direction pour élargir les séances d’activité physique adaptée au-delà de l’hospitalisation.
Les soins intensifs sont compatibles avec cette activité ?
Oui, les Soins Intensifs en Hématologie n’ont rien à voir avec un service de réanimation. Il s’agit d’une unité protégée, avec des chambres seules équipées d’un système de filtration de l’air, pour protéger les patients fragiles, et limiter le risque infectieux. Les patients y sont souvent hospitalisés pour des périodes de plus de 7 jours, mais ils n’ont pas forcément de la chimiothérapie ou des soins chaque jour. Ce sont des hospitalisations longues, souvent difficiles à vivre moralement et physiquement, et le maintien d’une activité physique adaptée pendant l’hospitalisation permet d’améliorer le vécu, de limiter les effets indésirables des traitements, de garder une forme physique et un certain moral.
Quels sont vos critères d’inclusion dans cette activité ?
A priori, tous les patients pris en charge en Soins Intensifs sont éligibles à une activité physique adaptée. A condition que leur état clinique au moment de la séance le permette : qu’ils n’aient pas de fièvre, pas de douleur, qu’ils mangent et dorment correctement...Cela dépend des jours. Mais les praticiens en thérapie sportive de la CAMI Sport et Cancer sont formés aux spécificités de nos patients. Actuellement, Damien notre praticien en thérapie sportive prend en charge en priorité les patients hospitalisés dans l’unité pour une durée d’au moins une semaine, et il effectue un test d’évaluation au début et à la fin de l’hospitalisation. Parallèlement, nous sensibilisons tous nos patients aux bienfaits de l’activité physique pendant l’hospitalisation, en leur expliquant que celle-ci a des conséquences bénéfiques sur leur tolérance au traitement et sur leur récupération entre 2 hospitalisations. Et comme nous avons la chance que nos chambres soient presque toutes équipées de vélo et de pédaliers, on les stimule pour qu’ils pratiquent entre 2 séances avec Damien.
Vous avez constaté personnellement cet impact sur le moral ?
Oui, la majorité des patients inclus dans notre programme d’activité physique adaptée pratiquait une activité physique avant la maladie. Lorsqu’ils arrivent dans le service, l’annonce de la maladie, la longue hospitalisation en secteur protégé, le début de la chimiothérapie et de ses effets secondaires, les modifications corporelles avec la perte de cheveux, la perte de poids...tout cela joue beaucoup sur le moral et il peut être tentant de rester au fond du lit en pyjama. Le maintien d’une activité physique permet au patient de se réapproprier son corps et de se sentir mieux. Tous ceux qui pratiquent ces thérapies sportives sont dans une démarche active, ils s’habillent, sortent de leur lit, sont prêts à attendre leur coach. On ne doute pas qu’il y a un impact physique et psychique.
Qu’entendez-vous par thérapie sportive ?
La thérapie sportive permet de maintenir un état tonique et dynamique avec des exercices d’entretien musculaire, cardio-vasculaire, de renforcement, le tout adapté, bien sûr, à l’état du patient, à son anémie, ses symptômes, son âge… Les patients inclus dans le protocole d’APA sont pleinement actifs. Ils pratiquaient déjà en majorité une activité physique régulière avant l’hospitalisation, raison pour laquelle ils sont souvent motivés pour garder un entretien physique pendant cette période. La thérapie sportive est différente de la kinésithérapie ou de la rééducation fonctionnelle, qui est davantage destinée aux patients qui présentent une déficience (musculaire ou autre). Les patients les plus fragiles, plus âgés, avec une mobilité limitée, sont plutôt orientés vers la kinésithérapie.
Vous avez une évaluation de l’impact de cette activité ?
Chaque patient reçoit un questionnaire de satisfaction envoyé par la CAMI. Et nous avons un retour très positif sur le ressenti et la satisfaction des patients. Ils se sentent mieux dans leur corps, moins fatigués, moins abîmés par la chimiothérapie. On pense également qu’il y a un retentissement sur le comportement alimentaire, en limitant notamment la perte d’appétit induite par la chimiothérapie. Parallèlement, Damien assure un suivi de toutes les séances, et de toutes les évaluations d’entrée et de sortie effectuées. Nous n'avons pas encore assez de recul pour avoir une première évaluation chiffrée de ces tests fonctionnels, mais il est prévu d’analyser ces données.
Et combien coûte une opération comme celle-ci ?
Le coût de fonctionnement est de 35.000 euros pour une année. Ce montant couvre la rémunération du praticien en thérapie sportive, l’édition des documents remis aux patients, les outils de communication, l’analyse des données et les rapports d’activité. Ce projet a pu voir le jour grâce au financement de nos partenaires associatifs, comme Action-Leucémies, La Ligue contre le Cancer et l’ARS Ile De France, ainsi que par les propres partenaires de la CAMI. Mais il est nécessaire de trouver les moyens financiers de pérenniser cette belle activité, car c’est un projet qui ne vit que par nos partenaires.
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