Le Professeur Arnaud Petit, pédiatre oncologue, exerce au sein du service d’Hématologie et d’Oncologie Pédiatrique de l’Hôpital Armand Trousseau (AP-HP) dirigé par le Professeur Guy Leverger. Président du Comité Scientifique de notre Association Action Leucémies, il répond à nos questions concernant les perspectives diagnostiques et thérapeutiques dans le champ des leucémies aiguës.
Merci de nous recevoir dans votre service pour cet entretien. Dans le cadre de l’information de nos adhérents, nous voulions vous interroger sur les perspectives médicales et scientifiques attendues en onco-hématologie.Tout d’abord, qu’en est-il des avancées dans le domaine du diagnostic de ces pathologies ?
Je dirais que sur le plan diagnostique, il y a plusieurs opportunités et la grande nouveauté dont la France s'est dotée, c'est le programme France Médecine Génomique 2025 (FMG 2025), qui a pour objet le séquençage de toutes les tumeurs et leucémies au diagnostic. Dans le champ de l’oncologie pédiatrique, nous avons intégré dans ce programme depuis un an et demi, le séquençage génétique des cancers réfractaires ou en rechute. Pour les leucémies aiguës pédiatriques dès le diagnostic initial, on pense pouvoir commencer à proposer le séquençage FMG2025 systématiquement en 2022, au moins pour le nord de la France. Mais l’objectif est bien sûr d’ouvrir à terme le programme à tous les patients d'hématologie et d’oncologie pédiatrique.
Quels sont les objectifs de ce programme ?
Ce qu'on en attend, c’est une cartographie génétique très précise des leucémies et cancers au diagnostic et de déduire de celle-ci d’un côté, des pistes thérapeutiques innovantes pour les maladies réfractaires et de l’autre, des informations biologiques complémentaires qui permettraient de mieux identifier pourquoi certaines maladies sont plus à risque de rechute dès le diagnostic initial. L’espoir est de pouvoir élaborer des stratégies thérapeutiques différentes et d'améliorer la prise en charge des malades. Sur le plan stratégique, ces données pourraient être plus tard utilisées pour faire de la recherche afin, à terme, d’avoir des alternatives thérapeutiques potentielles nouvelles que l’on intégrera dans les futurs traitements. Cela permettra également d’avoir des marqueurs biologiques pronostiques peut-être plus pertinents en utilisant ces nouveaux outils de diagnostic alternatifs (séquençage haut-débit) qui pourraient se substituer à tous les examens de routine actuels.
Vous parliez de plusieurs opportunités dans le domaine diagnostique, à quel autre projet faisiez-vous référence ?
Dans l’immédiat, FMG 2025 est le programme le plus prometteur. Mais, pour ma part, je crois aussi beaucoup aux outils de la protéomique, c’est-à-dire, ces outils qui évalueront le protéome, qui représente l’ensemble des protéines produites par une cellule. Aujourd’hui, on sait bien analyser une partie de l’ADN et l’ARN dit « codant », mais il y a aussi toute une connaissance émergente sur ce qu'on appelle les ARN non codants, qui sont une fraction immense de ce qu'une cellule peut exprimer et dont le rôle est probablement important dans les cellules cancéreuses. Malheureusement, que ce soit l’analyse du protéome ou des ARN non codants, nous n’avons pas encore à ce jour la technologie suffisante pour analyser ce qui se passe au sein de la cellule alors, ce n’est donc pas imminent, mais ce sont des axes d’avenir…
Et sur le plan thérapeutique alors…
Sur le plan thérapeutique, on est dans la consolidation de l'immunothérapie qui prend une place grandissante dans certains traitements anticancéreux et anti leucémiques. Elle nous a apporté ces dernières années la thérapie par CAR-T-Cells dont on verra dans l'avenir la place qu’elle prendra dans les stratégies thérapeutiques. Si les CAR-T-Cells permettent l’espoir de guérir certains patients présentant des formes hier incurables de leucémies aiguës de la lignée B, certains patients développent des résistances et ne guérissent pas. Par ailleurs, si cette thérapeutique est porteuse d’espoir pour les leucémies aiguës T ou les leucémies aiguës myéloïdes, elle n’a pas encore eu de réelles applications cliniques prouvées et il n’est pas certain qu’elle solutionnera les problématiques de résistance dans ces autres types de leucémies. En parallèle, le développement des anticorps monoclonaux se poursuit. Certains ont trouvé leur place, d'autres sont en cours d’évaluation.
Diriez-vous qu’on soigne mieux les leucémies aujourd’hui ?
On soigne mieux certaines formes réfractaires ou en rechute de leucémie, c'est vrai. Maintenant, avec ces nouveaux médicaments, il y a des alternatives pour certaines formes de leucémie qui ne répondaient pas correctement à la chimiothérapie. L’immunothérapie a aujourd’hui un champ d’application plutôt en seconde intention après la chimiothérapie conventionnelle, mais pas pour toutes les situations. Dans les années à venir, nous saurons probablement mieux intégrer cette immunothérapie en combinaison ou en substitution de la chimiothérapie conventionnelle. Envisager son utilisation pour tous les patients n’est aujourd’hui pas envisageable car son coût reste exorbitant et qu’elle n’est pas à la solution à toutes les leucémies.
Et ces thérapeutiques nouvelles concernent toutes les leucémies ?
La place de l'immunothérapie s’est bien précisée dans le champ de la leucémie aiguë lymphoïde (LAL) de la lignée B mais nous n’avons pas de thérapies par CAR-T-Cells aujourd'hui pour la leucémie aiguë myéloïde (LAM) ni pour les LAL de la lignée T. Concernant les anticorps monoclonaux, le gemtuzumab ozogamicine trouvera probablement sa place dans le traitement des LAM. C'est la question posée par l'essai Myechild01, étude franco-anglaise qui apportera des réponses précises sur l'utilisation de cette immunothérapie en hématologie pédiatrique. Pour les leucémies T, il y a un anticorps monoclonal, l'anti-CD38, qui est en cours d’évaluation dans certains essais industriels. Enfin dans les leucémies aiguës de la lignée B, de nombreux anticorps trouvent leur place progressivement en cas de maladie réfractaire ou en rechute, tels que par exemple le blinatumomab ou l’inotuzumab ozogamicine. Comme toujours, la difficulté quand on arrive à guérir 85 % de certaines formes de leucémies pédiatriques, c’est de parvenir à progresser pour guérir les 15 % restants… Pour les LAM pédiatriques, les progrès sont lents. Ces maladies restent un axe prioritaire de recherche en pédiatrie, et pour rappel, les LAM représentent la majorité des leucémies aiguës de l’adulte. L'immunothérapie va prendre une place grandissante dans les traitements anticancéreux, probablement en association avec la chimiothérapie mais on est encore dans la phase de consolidation de ce qui a été acquis dans les leucémies aiguës lymphoblastiques de la lignée B. Des progrès majeurs restent à faire pour les leucémies aiguës T et myéloïdes.
Pensez-vous que l’étude génétique FMG 2025 apportera ce type de solution thérapeutique ?
Il est toujours difficile de relier de façon causale une caractéristique génétique et une observation clinique mais on espère que l’étude FMG 2025 va permettre d’identifier des lésions, des mutations, qui dérégulent une voie métabolique précise qui sera accessible à une thérapie ciblée. Nous cherchons à reproduire l’exemple de l’inhibiteur de tyrosine kinase Imatinib qui a révolutionné le traitement de la leucémie myéloïde chronique (LMC) au début des années 2000. Cette maladie se traite depuis sans chimiothérapie dans la majorité des situations. On essaie de reproduire ce résultat remarquable dans toutes les leucémies. Peut-être que demain, en particulier dans les LAM ou dans les LAL T, on ajoutera un médicament de plus, qui ne sera pas une immunothérapie mais un inhibiteur de tyrosine kinase ou équivalent qui améliorera la sensibilité aux traitements. Les industriels travaillent actuellement sur tout un champ de petites molécules de ce type mais il faudra en valider l’efficacité car la cellule a souvent des voies d'échappement. En effet, quand on bloque un processus dans une cellule, celle-ci met en place des mécanismes de contournement et la cellule y devient résistante. Avec les analyses FMG 2025 et toutes les analyses génétiques équivalentes qui sont proposées dans le cadre de la recherche, on ira probablement vers des traitements de plus en plus complexes et de plus en plus personnalisés à chaque leucémie et chaque patient.
Quel est alors dans ce contexte le devenir de la greffe de moelle osseuse ?
La greffe de moelle osseuse (ou de cellules souches hématopoïétiques), qui est réservée aux formes les plus graves, est source de séquelles parfois importantes. La perspective des nouveaux traitements, si un jour ils arrivent à s’y substituer, c'est de réduire le recours à la greffe et ainsi de réduire le risque des séquelles à moyen ou long terme. Peut-être que l'immunothérapie (par CAR-T-Cells ou Anticorps monoclonaux) prendra une place grandissante dans le futur comme alternative à la greffe. Néanmoins, si on a pensé un temps que les CAR-T-Cells remplaceraient définitivement la greffe, on a l’impression qu’elle gardera une place chez certains patients pour consolider la rémission après CAR-T-Cells. De plus, actuellement, toutes ces stratégies concernent la rechute
Quels sont les aspects génétiques des leucémies ?
La prédisposition génétique aux leucémies est une situation rare. On estime à 10-15% le nombre d’enfants qui seraient susceptibles de présenter une telle prédisposition à un cancer pédiatrique. A l’exception de la trisomie 21, qui est la plus fréquente des prédispositions aux leucémies. Les outils de génétique permettront d’étendre la connaissance sur les autres syndromes de prédisposition. La prédisposition reste un sujet sensible, car il s’agit d’identifier des patients à risque. Mais un risque n’est pas une certitude. Le poids d’une telle annonce peut être difficile pour les familles et les patients. Dans le cadre du projet de recherche CONECT-AML , qui se penche spécifiquement sur les LAM pédiatriques, une étude portant sur la génétique et l’éthique interroge notamment cette question.
L’utilisation de la génétique est-elle une pratique courante ?
Il faut différencier la génétique des cellules leucémiques et cancéreuses (que l’on appelle la génétique « tumorale » ou « somatique »), de la génétique présente dans les autres cellules normales de notre organisme (on l’appelle la génétique « constitutionnelle »). La génétique « tumorale » est utilisée quotidiennement pour caractériser les cellules leucémiques et cancéreuses. Elle guide le médecin pour choisir le traitement le plus approprié. Parfois, on essaie d’identifier si le patient présente une prédisposition à la leucémie. Dans cette situation, il faut réaliser des examens qui vont interroger la génétique des cellules normales, dite « constitutionnelle ». Ces examens de la génétique des cellules normales ne se pratiquent pas sans l’accord de la famille et du patient, qui sont libres de le refuser. La difficulté avec les programmes de séquençage moderne tels que proposés dans le programme FMG 2025, c’est que la frontière entre la génétique « tumorale » et la génétique « constitutionnelle » est de plus en plus ténue.
Mais l’aspect génétique ne permettrait-il pas de mieux adapter la prise en charge ?
Les outils génétiques constitutionnels, sont intéressants en ce sens qu’ils permettent d’identifier les marqueurs de thrombose (phlébite, embolie pulmonaire …) par exemple, chez certains patients qui sont à risque de faire des événements ou des complications des traitements. Un autre exemple est celui de l’utilisation de la mercaptopurine qui est une chimiothérapie orale essentielle dans le traitement de la leucémie aiguë lymphoblastique. On est aujourd’hui en capacité de savoir à l'avance quels sont les patients pour lesquels il faut baisser la dose, au risque de les mettre en danger avec les doses conventionnelles. En conclusion, la génétique constitutionnelle des médicaments, que l’on appelle aussi la pharmacogénétique, sera très importante dans le futur pour adapter avec plus de précision les doses des traitements.
Pourra-t-on alors parler de personnalisation d’une médecine plus précise ?
De tous temps la médecine a été personnalisée, adaptée et précise ! Aujourd’hui, on a juste des outils bien plus conséquents, qui génèrent une masse d'information colossale supplémentaire. Il est probable que dans le futur le médecin devra intégrer bien plus de données pour soigner les patients, dont la génétique, pour choisir le bon médicament, la bonne combinaison des médicaments entre eux, le meilleur moment pour les administrer et les bonnes doses à utiliser. La médecine avance tous les jours. Les innovations sont intégrées dès que possible par les médecins pour soigner les malades et faire progresser les taux de guérison.
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